identifier le groupe à risque

V. Comment identifier à temps ce groupe qui court de grands risques ? 

Identifier à temps le groupe de jeunes récidivistes n’est pas facile en raison des faits suivants:

- au début ils ne commettent que des délits mineurs. Il est peu probable qu’ils soient appréhendés par la police ou on pense que leur comportement délictueux disparaîtra spontanément

- les parents eux-mêmes ont eu des expériences négatives avec la protection de la jeunesse

- les parents rejettent les interventions des autorités ou ils sont méfiants vis-à-vis du monde extérieur

- les jeunes ne se réfèrent pas par eux-mêmes aux services d’aide sociale

- les écoles rejettent ces enfants et elles ne veulent pas que l’entourage sache qu’il y a des jeunes délinquants parmi leurs élèves. Nous avons constaté par exemple que l’école ne fait pas mention de l’absence de certains élèves, surtout chez les jeunes marocains. Le service de la protection de la jeunesse attend intentionnellement jusqu’à ce qu’ils commettent des délits assez graves pour les mettre en prison (une stratégie avec des conséquences très néfastes à long terme).

Il est clair que les enseignants et les agents de quartier connaissent ces jeunes qui se font remarquer par leur comportements déviants. Ils traînent dans les rues pendant que les autres enfants sont à l’école; ils se trouvent très tard sur les places publiques; les commerçants se plaignent d’eux et ils sont souvent impliqués dans des bagarres.

Pour identifier à temps ce groupe, il est important que les services d’aide sociale ou de la protection de la jeunesse collaborent étroitement avec les écoles et avec les agents de quartier. Ces derniers devraient être informés des caractéristiques de ces jeunes et des facteurs à risque. La formation et la supervision des agents de quartier a pour but de les sensibiliser aux signaux d’une carrière criminelle probable. De même, il faut informer les enseignants et il est très important que les spécialistes deviennent des conseillers appréciés en ce qui concerne l’approche des élèves qui sont difficiles à l’école.

C’est à partir de cette collaboration qu’on aura la possibilité de faire de la prévention pour un groupe qui en a le plus besoin. Pour plusieurs enfants il sera nécessaire de les suivre longuement et de prescrire des traitements pour des perturbations spécifiques. Il est très important qu’on évite de stigmatiser l’enfant ou de disqualifier les parents. Nous proposons donc une approche orthopédagogique qui est caractérisée par son intensité, sa variété, sa longue durée et son orientation vers ce qui est positif. Cette approche sera développée dans le paragraphe suivant.


UNE APPROCHE ORTHOPÉDAGOGIQUE

Nous pouvons dire que certains spécialistes savent comment faire de la prévention et comment traiter les jeunes qui se trouvent au début d’une carrière criminelle. Mais ils n’arrivent pas à réaliser une approche fructueuse à cause d’un manque de volonté politique et parce qu’il est très difficile de changer les instituts traditionnels. Un autre obstacle est la difficulté d’organiser un effort coordonné entre les différents services de la protection de la jeunesse.

Dans plusieurs publications scientifiques il est décrit des projets pour des groupes restreints où l’on a prouvé que le comportement délictuel a pris fin. Des recherches évaluatives sur des centaines de ces projets indiquent que les conditions suivantes conduisent à de bons résultats à long terme:

- le programme doit être varié, c’est-à-dire qu’on tient compte des différents besoins de l’enfant et de la famille

- le programme doit être concentré sur ce qui est positif: les qualités positives de l’enfant et des parents forment le point de départ du diagnostic et du traitement

- le traitement doit concerner la famille au lieu de traiter l’individu

- le traitement doit être de longue durée (l’intervenant ne peut pas laisser tomber certaines familles). Ces familles ont besoin d’une vraie relation pédagogique qui est inconditionnelle et indissoluble)

- il faut essayer d’éliminer le plus grand nombre de facteurs à risque et de renforcer l’influence des facteurs protecteurs (nécessité d’un traitement multisystémique)

- il faut tenir compte des valeurs, des normes et des traditions de la famille et du groupe ethnique

- la prévention ou le traitement doivent commencer le plus tôt possible

- les intervenants doivent être bien formés et spécialisés.


Simultanéité des perturbations

Dans le cas de Justus, cité ci-dessus, il s’agit de troubles de comportement persistants. Il y a aussi une simultanéité avec d’autres perturbations (p.e. manque de concentration et d’attention) et un cumul de facteurs à risque (au niveau individuel, au niveau de la famille et du milieu environnant). Dans ce cas il s’avère nécessaire de proposer simultanément un éventail de plusieurs interventions. Je donne ci-dessous quelques aspects de notre plan de traitement.

L’incapacité de Justus de se concentrer et de lire avec attention est une des causes principales de l’échec à l’école et des réactions négatives des instituteurs irrités par son comportement. Ces expériences à l’école peuvent être la cause de son comportement troublé hors de l’école. Nous avons organisé des leçons particulières avec comme résultat que Justus a eu des expériences positives dans la classe et que son instituteur l’a encouragé. Dans une réunion de parents à l´école, son père a entendu pour la première fois une appréciation positive de son fils, ce qui a été pour lui une expérience exceptionnelle. On peut imaginer que ce fait a motivé les parents pour continuer leur collaboration avec nous.

Un autre facteur à risque important est une communication déficiente dans la famille. Les parents sont tous les deux peu communicatifs. Ils ne peuvent pas exprimer leurs émotions. Ceci a eu une influence négative sur la formation de la conscience de Justus et de son frère. Dans ces circonstances un enfant n’apprend pas à se mettre dans la peau d’un autre. Par exemple, Justus n’est pas conscient de ce que signifie un vol pour la victime. Son instituteur a remarqué que Justus avouait très honnêtement ses transgressions, tout en ignorant que ce soit une transgression. Punir Justus signifiait donc punir son honnêteté!

Il a fallu donc aider les parents à améliorer leur communication et à aider Justus à développer sa conscience. Les parents ont suivi une thérapie relationnelle dans un centre d’aide sociale et nous avons aidé Justus en jouant des jeux de rôle où nous discutions des questions de morale.

Un autre aspect de notre traitement a été d’aider les parents à pratiquer de meilleures méthodes éducatives. Par exemple, au lieu de punir sévèrement et impitoyablement, ils ont appris à encourager ce qui allait bien. En cas de transgressions, ils devaient apprendre à punir leur enfant d’une façon convenable. Au début de notre intervention, Justus a été puni pour un vol. Il a du rester à la maison. Nous avons constaté qu’il n’avait pas, en plein été, joué dehors depuis deux mois! En plus, il ne savait pas quand cette punition serait levée et ce qu il devait faire pour arrêter cette situation. Pour aider les parents à mieux traiter leur enfant en cas de transgressions, nous avons fait une sorte de ‘Contrat de comportement’. Dans ce contrat, qui est signé par les parents Justus et l’intervenant, les règles sont formulées d’une façon explicite et positive et les conséquences en cas du respect ou du non-respect de ces règles.

Nous avons aussi établi un programme pour améliorer les relations sociales de Justus. Il a appris certaines aptitudes sociales et nous l’avons aidé à contrôler ses pulsions agressives. Par exemple on sait que les personnes agressives attribuent à tort des intentions hostiles aux autres. Dans des jeux de rôle, Justus a appris à mieux interpréter les intentions réelles des autres et à mieux prévoir les conséquences de ses actes. Il a aussi appris à mieux réagir aux frustrations et à résoudre d’une façon acceptable les problèmes au niveau du contact avec les autres enfants.

Dans le cas de Mohammed nous avons appliqué les mêmes principes en tenant compte de son âge et de sa scolarité non achevée. Comment changer la situation désespérée de cet adolescent?

Dans le Projet Familial nous avons une stratégie spécifique pour aborder ces cas difficiles. Notre point de départ était qu'il fallait d'abord un cadre éducatif. Ça veut dire qu'il y avait un adulte avec lequel ce jeune garçon aurait pu s'identifier; un adulte qui aurait une influence positive sur lui. Un cadre éducatif veut dire aussi qu'il y a des relations de confiance avec sa mère et avec cet adulte. En plus, il faut une certaine régularité dans sa vie (aller régulièrement à l'école ou avoir du travail). Il lui faut surtout des réussites, des expériences qui ont un effet positif sur son estime de soi. S'il respecte les règles, on doit lui accorder des privilèges pour l'encourager.

Nous avons commencé notre intervention par des visites très fréquentes ( deux et souvent trois fois par semaine) chez la mère. Là, nous avons rencontré un oncle qui s’intéressait à l’avenir de Mohammed. Mohammed pouvait l’accompagner chez l’entrepreneur en construction où il travaillait. Nous avons eu un contact régulier avec cet oncle et nous avons montré notre respect et notre gratitude pour sa collaboration. 

Mohammed nous a dit qu’il se sentait contrôler par nous, mais il l’acceptait à la condition que notre intervention soit terminée après six mois sans problèmes. Nous avons demandé l’accord du juge qui y a consenti. 

La situation de la mère s’est aussi améliorée. Son frère l’a accueillie dans sa famille et une de nos stagiaires s’est proposée de garder ses enfants un après-midi par semaine pour qu’elle puisse rendre visite à la famille de son frère. La mère a apprécié fortement cette aide de la jeune étudiante. 

A un certain moment nous avons eu l’idée d’organiser un programme pour Mohammed afin de lui apprendre à mieux se défendre contre les propositions défavorables des copains qu’il rencontrait dans la rue. Nous avons laissé tomber cette intervention car des informations positives nous sont parvenues sur les bons contacts que Mohammed avait avec ses collèges de l’entreprise où il travaillait. 

Après six mois, nous avons clôturé notre intervention et de nouveaux faits ne se sont pas présentés.

SUITE: LE ROLE DE L'INTERVENANT

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