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Le rôle de l’intervenant 

VI.  LE RÔLE DE L'INTERVENANT

Il est clair qu’un traitement aussi varié nécessite une connaissance détaillée, concrète et la plus complète possible de la situation familiale et des expériences de l’enfant à l’école ou dans la rue. La plupart des problèmes sont des problèmes interactionnels. Nous devons savoir comment les autres réagissent envers cet enfant; ce qu’ils disent ou ce qu’ils font concrètement; quelles sont les conséquences d’une réaction de l’un envers l’autre; etc.. Les ‘chaînes de comportements’ forment la base de toutes les interventions.

On peut se demander si l’intervenant ne se trouve pas devant une tâche insurmontable. Ne devrait-il pas s’y connaître dans tous les domaines? Conseiller les parents et les enseignants, organiser des jeux de rôle et des thérapies diverses, donner des leçons particulières, etc…: tous ces aspects sont nécessaires, mais l’intervenant est-il capable de prendre toutes ces responsabilités? Ma réponse est affirmative, l’intervenant ne se trouve pas seul. Premièrement, il fait partie d’une équipe. Ses collègues peuvent l’aider dans l’élaboration des différents traitements. On peut expliquer aux parents et à l’enfant que pour certains aspects de l’intervention, un autre spécialiste doit être impliqué temporairement.

Deuxièmement, les parents sont nos partenaires dans le déroulement du traitement. Ils jouent le rôle essentiel et ils continueront l’éducation de leur enfant après notre intervention. Ça veut dire que les méthodes de traitement doivent être simples et concrètes. La difficulté pour l’intervenant ne consiste donc pas dans l’application de toutes ces interventions, mais dans la traduction des approches thérapeutiques et éducatives pour répondre aux besoins concrets de la famille et de l’enfant. Cette traduction peut être faite en équipe sous la supervision d’un spécialiste.

Un manuel clair et détaillé peut aider les membres de l’équipe à se préparer à ces tâches. Une collaboration avec un centre de recherches scientifiques est très utile pour pouvoir développer des nouvelles méthodes d’intervention pour un groupe de familles et de jeunes qui posent des problèmes très compliqués.

Le fondement pédagogique de chaque intervention

Tous nos efforts n’auraient pas beaucoup de résultats sans la motivation et la persévérance des parents et de l’enfant. Comment motiver des parents qui ont connu tant d’échecs et qui ont souvent eux-mêmes eu des problèmes personnels? Comment motiver l’enfant à changer son comportement et à faire de son mieux à l’école quand il a déjà parcouru un long chemin dans une vie caractérisée par un comportement inadapté? Et comment changer l’attitude de l’environnement envers des familles et des jeunes qui ont causé tant de dérangements?

Après trente années de pratique clinique je ne crois pas que nous atteindrons nos buts thérapeutiques en nous limitant à l’application de techniques thérapeutiques. Motiver les gens et les aider à changer leur comportement ne peut pas être limité à un conditionnement ou à une manipulation psychologique ou sociale. L’homme n’est pas uniquement le produit des forces biologiques, psychologiques ou sociales. Bien sûr, ces forces jouent un rôle très important, mais l’homme devient vraiment humain quand il fait en toute liberté le choix d’être bon et de prendre ses responsabilités pour les autres. Je suis convaincu que, dans chaque intervention, nous devons faire appel à cette capacité d’être humain.

Cet appel surviendra chez les parents et les jeunes si nous, les intervenants, sommes un modèle qui inspire les autres par son attitude de bonté inconditionnelle, sa confiance en un résultat positif et par son engagement indissoluble.

C’est donc la qualité de la relation entre l’intervenant et la famille qui est le facteur décisif pour obtenir des résultats durables. Cette relation reflète les caractéristiques d’une véritable relation pédagogique: une relation qui est inconditionnelle, une confiance dans l’autre et un engagement qui ne s’arrête jamais. Je crois que l’intervenant doit avoir une relation avec la famille de façon à les motiver et à les soutenir. Une des conséquences de cette conclusion est que nos instituts devraient être organisés de telle façon que les intervenants ne laissent jamais tomber leurs clients qui ont besoin d’une relation stable.

Un exemple peut illustrer mes propos: prenons le cas d’un enfant qui est agressif. Tous les spécialistes, tous les tests et toutes les observations indiquent qu’il s’agit ici d’un enfant avec une disposition extrême au comportement agressif. Supposons aussi que les facteurs à risque pour un pronostic défavorable soient tous présents (p.ex. un comportement agressif dès un jeune âge, scolarité échouée, manque de supervision, des copains délinquants, un environnement qui encourage l'agressivité, ...). Si ce garçon disait un jour: “A partir d’aujourd’hui je ne suis plus agressif”. Est-ce que cette décision est possible? Est-ce que ce garçon peut arrêter son comportement agressif, malgré la présence de tous les facteurs négatifs et malgré un passé qui est caractérisé par une attitude agressive?

Ma réponse à cette question est oui! Contre toutes les lois, données par la recherche empirique, l’homme reste un être libre. Je ne nie pas la grande influence des expériences antérieures, des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux, mais je ne crois pas que l’homme soit uniquement le produit de tous ces facteurs.

Si mon oui est exact, alors ceci change radicalement notre point de vue thérapeutique: le but de l’intervention n’est plus de prime abord l’application des techniques thérapeutiques, mais avant tout de motiver la personne à prendre des décisions comme cet enfant dans notre exemple. Je crois que cette décision, prise en toute liberté, pourrait être favorisée par l’inspiration de l’intervenant et des adultes qui s’engagent pour le jeune. Une relation pédagogique devient ici le facteur crucial dans chaque thérapie.

On pourrait remarquer ici que j’impose une tâche impossible aux intervenants. Une bonté inconditionnelle, une confiance presque infinie et un engagement indissoluble ne sont pas réalisables. Les syndicats ne seront pas d’accord. Mais je ne vois pas d’autre solution. Il faut que nous tirions les conclusions après plus d’un siècle d’efforts préventifs et curatifs qui n’ont eu aucun effet sur le taux de la criminalité et de la violence. Au contraire.

Cette conclusion ne veut pas dire que ceux qui veulent s’engager n’auront plus de temps libre et pas assez de temps pour leur développement personnel ou pour une vie privée. Pour résoudre ce paradoxe, il s’avère nécessaire de travailler en équipe et d’intégrer les programmes d’intervention dans la collectivité (des interventions communautaires au lieu du programme en établissement).

L’équipe doit être une vraie communauté. C’est-à-dire que les intervenants s’entraident et qu’ils portent une responsabilité commune. Intégrer l’intervention dans la collectivité veut dire qu’on donne un rôle important aux personnes qui ont un certain lien avec le jeune. Ce sont ces personnes qui doivent se sentir responsables du jeune et qui doivent s’engager inconditionnellement. Le rôle de l’intervenant consiste à soutenir ces adultes et à leur apprendre des techniques pour mieux contrôler le comportement du jeune.


VII. COMMENT ORGANISER CETTE APPROCHE ORTHOPÉDAGOGIQUE?

Je viens de dire que les syndicats ne seront pas d’accord avec le devoir des intervenants de s’engager inconditionnellement. Mais nous sommes quand même des hommes libres. Néanmoins, je pense que l’approche que je propose ne peut pas être réalisée dans nos organisations et instituts traditionnels de la protection de la jeunesse ou de l’aide sociale sans un changement de vision.

Pour rendre possible une intervention intensive et multisystémique il est nécessaire de revoir le rôle des intervenants. Nous les considérons comme des intermédiaires qui mobilisent les gens du quartier. C’est-à-dire que l’intervenant cherche l’aide des adultes qui sont proches de la famille ; qu’il cherche aussi l’aide des enseignants, des moniteurs de sport, des employeurs, des religieux ou des imams et de tous ceux qui s’intéressent au bien-être de leurs concitoyens. Tous ces adultes sont dans un certain sens des bénévoles qui veulent collaborer avec le service de la protection de la jeunesse. Ils sont bien-sûr préparés à leur tâche et supervisés ensuite.

Nous créons ainsi dans le quartier un réseau de solidarité pour les familles en détresse et pour les jeunes qui sont facilement rejetés par les autres.

Dans le Projet Familial nous avons réussi à réaliser une relation inconditionnelle avec les jeunes et les parents grâce aux étudiants-stagiaires qui se sont engagés merveilleusement en assistant les cliniciens de notre projet. On pourrait essayer d’encadrer cette approche orthopédagogique dans les services de la protection de la jeunesse en combinant le travail régulier avec le bénévolat. Ces bénévoles devront être formés et supervisés comme nous l’avions organisé pour nos stagiaires. Je pense à une équipe où il y aurait des professionnels à plein-temps et des personnes ayant un autre travail qui seraient disponibles pendant leur temps libre. Cette équipe travaillerait dans un ou plusieurs quartiers et proposerait aux familles en difficulté et aux écoles une aide multisystémique qui pourrait être intense et de longue durée. Une aide que les instituts traditionnels ne peuvent pas fournir.

En travaillant dans un nombre limité de quartiers on pourra créer un réseau d’organisations, de services et de personnes engagées qui vivant dans le même quartier sont solidaires avec les familles et les jeunes qui ont besoin d’une accompagnement intensive et de longue durée.

En créant de telles équipes on réalisera la politique conseillée par le Cour des Comptes dans un rapport publié à Paris le 20 juillet 2003 sur la Protection Judiciaire de la Jeunesse :’La complexité des situations qui leur sont confiées ont contraint les éducateurs de milieu ouvert à diversifier leurs modalités d’intervention, notamment en participant à des actions partenariales (afin de faciliter la mise en œuvre des réponses aux difficultés multiples présentées par les jeunes, dans les domaines de la scolarité, de l’insertion professionnelle, de la santé) ou en organisant des activités collectives au bénéfice des mineurs pris en charge (afin de favoriser l’instauration d’une relation éducative et de renforcer les temps de contact avec les mineurs). Un effort doit donc être fait pour donner à cette diversité une assise et une structuration institutionnelles’ (p. 139).

En résumant : l’intégration de notre approche pourrait se faire en suivant une politique basée sur les points suivants :

1. Le meilleur remède est la prévention: il faut identifier à temps les enfants et les jeunes adolescents qui se trouvent au début d’une carrière criminelle. Le pronostic est possible dès l’âge de 8 ans.

2. Le programme de prévention pour ce groupe (il s'agit ici des enfants qui n'ont pas encore commis des délits graves) doit être intensif et la supervision doit être de longue durée.

3. Pour les adolescents qui ont commis de délits graves et violents, il faut distinguer ceux qui arrêterons leur comportement délictuel après un contact avec le système judiciaire ou après une détention, et ceux qui continueront leur carrière criminelle.

4. Pour ce deuxième groupe il faut concentrer les efforts des services judiciaires et de l’aide sociale afin de pouvoir organiser un traitement intensif et multisystémique. Dans ce traitement on implique déjà pendant l’incarcération du mineur, ses parents et les autres adultes qui peuvent jouer un rôle dans sa vie. Un aspect important du traitement est la formation professionnelle des jeunes (une formation pratique et avec des réelles perspectives d'avenir).

5. Les jeunes récidivistes acharnés qui sont un danger pour les citoyens devraient être suivis après leur détention. Il faut installer une commission qui étudie pour chaque cas les mesures nécessaires et éthiquement acceptables.

6. Pour diminuer dans une période de quatre ans la criminalité des jeunes dans une ville de 100.000 habitants par exemple, j'estime qu'il faut suivre  intensivement 300 jeunes entre 8 en 14 ans. Il faut collaborer avec la police pour identifier les récidivistes (une formation et la supervision des agents de la police est importante). Pour aider ce groupe restreint et pour obtenir de bons résultats, il faut coordonner les efforts des différents services d'aide sociale, impliquer les parents et d'autres adultes dans le traitement des jeunes, et collaborer avec les écoles. Ainsi, on crée dans le quartier un réseau de solidarité. 

7. Ce n'est pas une question de budget, mais il faut fixer les priorités pour pouvoir aider le groupe qui en a le plus besoin.

8. Il n'y a pas de solution miracle ou de méthode simple pour traiter des jeunes délinquants qui ont un comportement perturbé depuis leur jeune âge, qui récidivent sans arrêt et qui commettent des actes de violence grave. Il faut bien connaître les causes d'un développement inadapté pour savoir à quels niveaux il faut travailler.

9. Il faut avant tout protéger les citoyens contre ces délinquants perturbés. Nous avons obtenu de bons résultats à long terme grâce à une approche individualisée ( il faut "inventer" pour chaque famille et pour chaque jeune une "nouvelle" méthode de traitement) et grâce à notre philosophie de base qui est caractérisée par le respect pour l'autre, par l'inspiration et par l'engagement qui guide notre travail.

10. Dans le cas où la décision d'une incarcération est prise par le juge, il faut dès le début de la détention travailler avec la famille pour préparer le retour du jeune.  Cette intervention continuera par une supervision intense et de longue durée.

11. La détention ne doit pas être considérée comme une punition! Ça veut dire que les jeunes délinquants devraient être traités dans le centre fermé d’une façon humaine et amicale (un maximum de privilèges, beaucoup de visites,...).  Il faudrait être attentif à ce que la carrière scolaire du jeune ne soit pas arrêtée pendant la détention ou qu'on lui offre la possibilité de suivre une formation professionnelle.

12. Dès le début du traitement on y impliquera les adultes du milieu naturel qui avec les équipes de la protection de la jeunesse forment ensemble dans le quartier un réseau de solidarité. Ces adultes collaboreront avec les intervenants et auront une certaine responsabilité (rénumérée) pour suivre le jeune après sa détention

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