Peut-on les traiter dans leur milieu naturel?
RÉSUMÉ
Cette aide spécialisée et intensive est destinée à un groupe restreint de jeunes délinquants, c’est-à-dire les 3% de jeunes arrêtés par la police qui se trouvent au début d’une carrière criminelle qui se prolongera probablement à l’âge adulte. L’identification de ces 3% est réalisable en collaboration étroite avec les écoles et les agents du quartier. Les autres 97% de jeunes arrêtés par la police n’ont pas besoin d’une intervention coûteuse et intensive.
Pour le premier groupe il faut concentrer les efforts des services judiciaires et de l’aide sociale afin de pouvoir organiser un traitement intensif et multisystémique. Ce programme de traitement est varié, de longue durée et concentré sur la positivité ; il concerne toute la famille. Les intervenants doivent mobiliser des adultes dans le quartier pour créer ainsi un réseau de solidarité avec les familles et les jeunes qui sont facilement et trop souvent rejetés.
Les jeunes délinquants perturbés et violents qui doivent être placés dans des centres fermés doivent rester en contact dès le début de leur incarcération avec le réseau de solidarité de leur quartier pour préparer leur retour et pour aider la famille à ne pas perdre espoir.
En prenant en charge en priorité les enfants et les adolescents à grand risque notre approche pourrait être réalisée sans coûts excessifs et sur une grande échelle, par exemple pour réduire de 40% le taux de la criminalité juvénile dans une grande ville,
SOMMAIRE
1. Un groupe spécifique - une aide spécialisée
2. Mes expériences antérieures et 'Le Projet Familial'
3. Le groupe de jeunes récidivistes acharnés : 2 cas concrets
- Justus 9 ans
- Mohammed 17 ans
4. Quand est-ce qu'une carrière criminelle est probable?
Le développement vers une carrière criminelle
5. Comment identifier à temps ce groupe qui court de grands risques?
Une approche orthopédagogique
6. Le rôle de l’intervenant
Le fondement pédagogique de chaque intervention
7. Comment organiser cette approche orthopédagogique?
I. UN GROUPE SPÉCIFIQUE - UNE AIDE SPÉCIALISÉE
Ce texte traite d’un groupe spécifique de jeunes qui ont besoin d’une aide spécialisée, que j’appelle un traitement orthopédagogique. L’orthopédagogie est la science du traitement et de l´éducation de l´enfant difficile ou perturbé. Cette science cherche des moyens spécialisés pour éduquer un enfant pour qui le développement serait entravé ou troublé sans une aide supplémentaire. Dans cette science, il est important d’essayer de changer le processus d’un développement vers des troubles de comportement. Le traitement a aussi une composante pédagogique, c’est-à-dire que les adultes qui ont un lien fondamental avec l’enfant ne peuvent pas être écartés de l’intervention. Ces adultes jouent un rôle essentiel, car c’est surtout à eux que l’enfant ou l’adolescent pourrait s’identifier. Nous définissons le but de l’éducation et du traitement orthopédagogique comme l’inspiration de l’enfant pour être responsable pour lui-même et envers les autres (une responsabilité qui est définie par le philosophe Emmanuel Levinas comme: “Pour l’Autre, malgré soi, à partir de soi”). Cette inspiration ne peut que venir des adultes avec qui l’enfant a une relation réciproque de confiance et d’amour. C’est pour cette raison que nous faisons tout pour impliquer les parents,les enseignants et d’autres adultes importants dans le traitement orthopédagogique.
Le groupe de jeunes délinquants récidivistes est un groupe spécifique. Sur 100 jeunes arrêtés par la police, 97 cessent spontanément leur conduite délictuelle. Pour ces 97% il ne faut pas une intervention e certainement pas une intervention intensive et de longue durée. 3% des jeunes arrêtés par la police continueront leur conduite et ils se trouvent alors au début d’une carrière criminelle. Ces 3 % sont difficile à joindre par les services d’aide sociale. Ils ne sont pris en charge que quand il est trop tard. Ces jeunes et leurs parents sont peu ou pas motivés en ce qui concerne une aide éventuelle.
Malheureusement, nous pouvons constater que les services de la protection de la jeunesse s’occupent surtout de ce 97% qui ont moins besoin d’aide et que les interventions auprès des 3% des jeunes récidivistes échouent. On voit par exemple que ces jeunes sont rejetés par les services ou renvoyés d’un institut à l’autre. Cinq ou huit placements consécutifs en un an ne sont pas une exception chez ces adolescents difficiles.
Nous parlons ici des récidivistes acharnés ou le sous-groupe de jeunes, aux inconduites relativement persistantes. La plupart de ces jeunes ont commit leur premier délit avant l’âge de huit ans et leur comportement délictuel devient de plus en plus grave. Sans aide spéciale, la plupart de ces enfants deviendront des criminels à l´âge adulte. Pour diminuer la criminalité chez les adultes, il est important et nécessaire d’identifier à temps les jeunes qui courent un grand risque d’une carrière criminelle et de les traiter effectivement. La grande majorité de ces enfants sont des garçons, car les jeunes filles manifestent leurs troubles autrement, p. e. par la dépression, l’angoisse, la promiscuité ou par une timidité excessive. En trente ans je n'ai rencontré que quatre jeunes filles qui avaient commis un délit grave et violent (meurtre, hold-up).
Le traitement de ce groupe doit être intégré dans le milieu naturel du jeune (une intervention communautaire) et faire partie du processus pédagogique en général. On ne peut pas arrêter pour quelque temps l’éducation de l’enfant. Le développement de l’enfant continue sans arrêt. C’est pour cette raison que nous devons impliquer les adultes qui jouent un rôle éducatif. Hélas, ces adultes et surtout les parents sont disqualifiés par les autorités (la protection de la jeunesse veut protéger l’enfant, mais contre qui?) ou on dit que ces adultes sont pour une large partie responsable du comportement déviant de l’enfant.
Un principe fondamental du traitement orthopédagogique est que nous soutenons les adultes avec qui le jeune a un lien. Nous encourageons dans le milieu naturel la solidarité et un sentiment de responsabilité pour les autres. L’intervenant ou le thérapeute doit être modeste: ll n’est qu’un intermédiaire entre l’enfant et les adultes qui peuvent vraiment influencer cet enfant. Si nous renvoyons l’enfant dans un centre résidentiel, nous privons l’enfant et sa famille du plus important moyen pour traiter les troubles psychosociaux, à savoir la solidarité et l’amour des éducateurs.
Il y a bien sûr des jeunes qu’on doit emprisonner à cause de délits graves et violents. Il y a aussi des parents qui sont très perturbés et toxicomanes ou qui maltraitent et négligent leurs enfants. Mais ici, nous ne voulons pas être naïf: on ne peut pas changer le comportement du jeune dans un institut fermé, surtout pas d’une façon durable. Quand le jeune est enfermé, notre traitement consiste à préparer le retour du jeune chez ses éducateurs et d’aider ces éducateurs à s’occuper de ce jeune avec une confiance renouvelée et sans perdre espoir. Notre attitude envers les parents irresponsables est de les écouter et de les encourager. Pour ces parents, une telle approche est souvent une première expérience de soutien social et de considération. Dans mon expérience, j’ai vu comment cette attitude peut faire démarrer un processus de responsabilisation et de confiance chez l’intervenant. Dans les situations où les parents sont absents, nous cherchons du contact avec les familles et nous faisons tout pour retrouver les parents.
Notre approche correspond avec d’autres développements dans le domaine du traitement des jeunes délinquants à risque élevé. Les principales observations que l’on peut faire sur les études d’évaluation des interventions sont:
1. L’incarcération et les programmes qui sont basés sur une sanction mais qui ne comportent pas de composantes de services sociaux clairement déterminées produisent généralement des résultats négatifs.
2. Les programmes comportant des composantes de services explicites, liés à des causes connues de la criminalité, donnent des résultats positifs.
3. Il faut adopter des programmes constituant des solutions de rechange à l’incarcération. Les recherches indiquent clairement que les programmes qui produisent les meilleurs résultats, en l’occurrence des taux de récidive inférieurs, sont offerts dans la collectivité plutôt qu’en établissement.
4. Les programmes axés sur des causes connues du comportement antisocial produisent de meilleurs résultats.
5. Les programmes qui reposent sur une intervention communautaire intégrée à l’égard des enfants et des familles présentant des risques élevés attribuables à des causes diverses produisent de meilleurs résultats que les programmes discrets, ciblant une seule dimension des risques élevés auxquels les enfants en question sont exposé